Racine ou la modernité du classicisme, 2015

Paru aux éditions en ligne recoursaupoeme  – Septembre 2015

Ce titre apparaîtra sans doute paradoxal, à mes yeux il ne l’est pas, car je crois à une forme d’éternité de certaines oeuvres, à une actualité permanente, et je me suis nourrie autant de Virgile et de Racine que de Segalen, d’Apollinaire, et de poètes de l’extrême contemporain. Cela est sans doute dû à une éduca­tion où les Anciens tenaient une place essentielle. Je suis loin de le regretter. À mes yeux, il existe deux grandes familles d’esprits – aucune n’est préférable à l’autre –, les classiques et les romantiques. Les premiers croient à une nature humaine, ce qui les conduit à l’effacement, ou au moins à un dépassement du moi individuel ; les seconds prônent tout ce qui est fugitif, instable, et donc personnel, et pensent que la poésie se confond avec le lyrisme, non pas celui qui consiste à chanter, mais celui qui se restreint à l’expression des sentiments.

Je me range avec Caillois, pourtant passé par le surréalisme, du côté des premiers et je revendique ce choix. Non que je limite la poésie à une seule sorte de pratique, mais parce qu’il me semble qu’à côté d’une conception historiquement datée de la poésie comme lyrique, au terme de toute une série d’exclusions, on peut, on doit faire place à une autre conception, elle aussi nécessairement datée, ce qui ne veut pas dire dépassée. Dans cette évolution des conceptions, Mallarmé occupe une place privilégiée mais il constitue en définitive, ce que les modernes ne reconnaissent pas toujours, un pivot : s’il est le père de la modernité, c’est aussi un grand admirateur de Racine, en qui il voit l’essence même « du génie français », qu’il définit dans sa Rêverie d’un poète français comme « imaginatif et abstrait ». C’est pour moi une raison de plus pour réfléchir, à travers Racine, sur le classicisme et la modernité, et aussi, sur la poésie elle-même. Je ne m’interrogerai pas, dans les pages qui suivent, sur la peinture des passions, sur la cruauté du dramaturge, sur la magie de son style, sur toutes ces notions rebattues à son propos, mais sur son rapport – et parfois sur mon rapport – à la poésie.